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5 avril 2009

Mais qui est vraiment Superrééducateur 4- Nombres

Elle s'appelait Rosine D., mais elle nous avait demandé de l'appeler Rosine tout simplement.
C'était une prof de français sans âge; une rescapée de mai 68 qui fleurait bon le patchouli, vous savez le prétendu parfum indien qui vous décapait les narines vous privant d'odorat pour les dix minutes qui suivaient les embrassades. Elle avait des cheveux bruns aux reflets auburn (mais aux cheveux seulement, je vous en prie...) avec des petites bouclettes là et là qui encadraient un visage taillé à la serpe et des yeux vert d'eau. Elle portait constamment des robes à fleur et un énorme sac à main en toile de jute dans lequel elle farfouillait frénétiquement pour sortir son paquet de Marlboro et un vieux Zippo afin de s'en griller une dans un coin de la salle de e en entrouvrant la fenêtre pour ne point polluer nos petits poumons fragiles.

Rosine avait du cœur.

Quelques minutes plus tôt...

Le jour de la rentrée, nous étions sagement rangés dans le couloir du collège, nous appliquant enfin à faire subir aux "petits" sixièmes ce que nous avions du endurer de ces cons de cinquième pas plus tard que l'an dernier, mais c'était bien fini, c'était nous les caïds maintenant, du moins pour les nains de jardins (tous plus grands que moi ceci dit, sauf peut être Jean-Bernard, mais lui, avait eu les deux jambes coupées par un alcoolique même pas anonyme qui l'avait fauché alors qu'il traversait la départementale un matin de printemps, On était super fiers d'avoir un infirme dans notre bahut, ça faisait bien chier les profs de sixième qui devaient faire cours au rez de chaussée, même que la prof d'anglais allait en faire une dépression... elle faisait une dépression tous les deux ans, une vrai horloge atomique...)

Or donc, nous attendions paisiblement l'arrivée de cette nouvelle tortionnaire prof dont radio collège n'avait pas entendu causer vu qu'elle venait d'être nommé à Trouducland, en jouant à une version améliorée du bowling mettant en jeu nos sacs et les frêles jambes des anus sur pattes fraîchement issus du primaire. Le meilleur pour éviter les sacs c'était Jean-Bernard et ses roulettes, il était super vif malgré un manque d'entraînement certain car peu d'élèves osaient le viser de peur qu'un pion ne nous fasse payer cher de s'attaquer au fils de l'homme de fer.

J'avais découvert qu'on se fait plus facilement des amis en étant un peu moins "bon élève" et un peu plus "polisson", pour ne pas dire machiavélique sadique et un sacré salaud... En passant, s'il est bien un film moralisateur et bien pensant aux relents d'encens et de vieille poussière d'églises bien comme il faut c'est "le dîner de con" : dans la vraie vie et particulièrement dans cette jungle qu'était alors le collège le con perd toujours à la fin après avoir bien fait rire les potaches sado-moqueurs chez qui j'avais décidé de prendre mes quartiers d'hiver afin comme je le signalais plus haut (enfin plus bas, vive la logique des blogs) de bénéficier d'une protection certaine que ne pouvait offrir un physique souffreteux d'hydrocéphale plus élevé aux mamelles de la littérature qu'à celle des sports de combats...

Donc, tandis que je lançais vaillamment mon sac en prenant soin de viser les pattes des filles vu qu'elles rendaient pas les coups et que si jamais elle tombaient, j'allais enfin pouvoir voir leur culotte, moi qui n'avais pas eu la chance d'avoir une soeur et devait fermer les yeux à la plage comme nous l'a demandé notre seigneur Jésus et monseigneur Gaillot alors jeune évêque responsable de la préparation à la communion et qui hésitait à me laisser bâfrer l'hostie vu qu'il doutait de la pureté de mes sentiments envers Dieu et ses saints.

Je visais donc une petite rousse fragile quand elle tourna au coin du couloir, chaussée de ses espadrilles violettes qu'elle devait acheter en gros vu que je ne lui vis jamais autre chose aux pieds. Je revois encore la scène : au ralenti comme au cinéma, mon cerveau m'implorant de ne pas lâcher la courroie du cartable et mes doigts se détachant un par un...

La nouvelle prof de français fit ainsi connaissance des cinquièmes D et de votre serviteur.
J'articulais laborieusement une excuse bidon "heuuuu, d'solé m'dame, l'ai pas fait exprès", le monde s'écroulait, j'allais être renvoyé : à l'époque le crime lèse-prof était passible de l'exclusion à vie du système avec émasculation et avenir certain à l'usine ou pire : le pensionnat jésuite... Je flippais donc ma mère comme on se plaît à l'énoncer en nos vertes et riantes banlieues...

Alors elle me regarda dans les yeux, se baissa et ramassant mon sac, me le tendit en souriant : "Mais bien sur, je me doute que tu n'as pas fait exprès, tu es un gentil garçon, ça se voit dans tes yeux..."

Comme je l'ai aimée à cet instant !

Elle nous a fait rentrer et nous a dit de nous asseoir où on voulait ! Je me posais au fond, mais la place que je voulais moi, c'était dans une autre pièce, une autre école, un autre pays et si y'avait des postes sur le vaisseau Enterprise j'aurais volontiers posé mes fesses dans une autre galaxie.

Elle nous a tout de suite mis à l'aise en nous demandant de la tutoyer et de l'appeler Rosine, au risque de forcer le trait "vieux con" c'était impensable à l'époque... On y était, la révolution était en marche et mon monde s'effondrait, où allait-on si on se mettait à tutoyer le prof ! Elle a continué en nous expliquant qu'on allait faire ensemble le programme, qu'on était solidaire et qu'on allait avancer ensemble ! Je me décomposais ! La solidarité maintenant ! Et pourquoi pas le travail d'équipe !

Heureusement le masque se fissura quand elle nous fit remplir La Sainte Fiche que tout collégien a du recopier des milliards de fois au moins dans sa scolarité avec nom, prénom, profession des parents et quoi-t-est-ce donc que vous voulez faire plus tard quand vous serez grand...

Cette fois-ci je m'inventais un père pasteur évangéliste, une mère au foyer comme Jeanne d'Arc et sept frères et sœurs, quant à ma future profession; j'expliquais hésiter entre militaire de carrière et alors prof de français si la grande famille de l'armée française ne voulait pas de moi !

Ça la fit rire !

Quand elle ne fumait pas ses clopes en regardant au loin, elle nous parlait de François Villon et de Boris Vian. J’étais le seul à la vouvoyer mais j'avais de plus en plus de mal... elle ne respectait ni l'orthographe ni sa hiérarchie au point qu'elle quitta l'éducation nationale aux environs de Pâques... , les autres s'en plaignirent un peu mais sans plus, les parents furent bien rassurés et sa remplaçante rattrapa le temps perdu a grands coups de dictées même pas préparées, la syntaxe y gagna ce que perdit la poésie.
Je me mis à détester la remplaçante avec beaucoup de facilité, il me serait d'ailleurs impossible de me rappeler son nom ni sa tronche...

Quant à madame D. nous n'eûmes plus eu de nouvelles, elle ne chercha pas non plus à savoir ce que nous devenions, ni même moi qui pourtant m’étais acharné à lui écrire des rédactions du feu de dieu toute l’année !

Elle a du m’oublier.




Salope.

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Commentaires
V
Oui, j'en ai connu un comme ça, un prof de philo philosophe, trop tendre pour des term C, mais passionnant quand même. Disparu du jour au lendemain. Et ensuite un remplaçant haïssable à plaisir...
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